XVI. DE LA POPULATION

Il n’est donc pas surprenant qu’en voulant donner à cette équation une précision qu’elle ne comporte pas, les économistes aient plus divisé que rapproché les esprits, parce qu’il n’est aucun des termes de leurs formules qui ne prête le flanc à une multitude d’objections de raisonnement et de fait.

Frédéric Bastiat
Œuvres Complètes, tome VI, page 524
Harmonies Economiques

La citation d’aujourd’hui concerne l’impossibilité qu’il y a à calculer la limite au-delà de laquelle la population ne peut augmenter, non pas en raison des raisonnements qui sont justes lorsqu’ils sont analysés ceteris paribus mais en raison de la complexité de la vie qui fait que lorsqu’une donnée évolue, elle en fait évoluer d’autres de manière plus ou moins imprévisible. 

Au-delà du problème de la population, c’est une remarque applicable à d’innombrables phénomènes économiques et, selon moi, une des sources majeures de l’incompréhension entre économistes classiques et économistes keynésiens (ou pire, constructivistes, ces derniers étant une version adoucie de ceux-ci). Les uns comme les autres utilisent régulièrement un raisonnement ceteris paribus afin de déterminer la dynamique qu’une action ou une politique va enclencher. Cependant, les constructivistes se permettent d’ignorer leur propre ignorance et ont la prétention d’établir des équations explicatives (ou des modèles sous Excel) qui leur permettraient d’agir sur l’une ou l’autre variable en vue d’obtenir un résultat attendu sur l’ensemble de l’économie. Les économistes classiques n’ont pas cette prétention et se gardent bien d’établir des modèles macroéconomiques pour justifier de l’une ou l’autre politique à mener. Le raisonnement ceteris paribus permet de comprendre les phénomènes, pas de prédire un résultat chiffré.

Si l’on prend un exemple simple comme la relation entre le taux d’intérêt et le taux de chômage, il est clair qu’une baisse de taux va stimuler l’investissement et, par conséquent, favoriser l’emploi, toutes choses égales par ailleurs. Mais prétendre qu’une baisse d’un point du taux directeur d’une banque centrale va permettre de diminuer le chômage d’un nombre attendu d’individus relève de la sorcellerie: la baisse du taux peut tout aussi bien augmenter la masse monétaire d’une manière qui conduira à une inflation des prix interdisant l’embauche de nouveau collaborateurs dans les entreprises prises à la gorge par leurs coûts de production. L’un et l’autre phénomènes sont possibles, l’un est heureux quand l’autre est malheureux: prétendre connaître le résultat à l’avance est prétentieux et l’économiste classique refuse de prendre le risque d’envenimer la situation par sa recommandation.

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