Parce que j’aurais été le premier à mettre des sabots, tous les hommes sur la surface de la terre, sont-ils tenus en droit d’aller pieds nus?
Frédéric Bastiat
Œuvres Complètes, tome VII, pages 207 à 210
22 janvier 1848
Dans cette lettre à Marcellin Jobard, Frédéric Bastiat se penche sur la question de la propriété intellectuelle, vraisemblablement en faisant suite à une question de M. Jobard sur ce qu’il en pense. Dans un premier temps, Frédéric Bastiat met en garde sur le fait qu’il n’a “pas à cet égard des idées assez arrêtées pour prétendre à ce qu’elles exercent la moindre influence”. J’avoue que je trouve également le problème très épineux et que, si la législation a beaucoup évolué depuis 170 ans, les réponses qu’on y apporte sont souvent peu satisfaisantes (la durée des droits d’auteur après son décès me semble absolument délirante de nos jours, par exemple).
A l’époque, Frédéric Bastiat résumait la question à deux points essentiels: la légitimité de la propriété intellectuelle (à laquelle il croit) et son application en droit (compétence du gouvernement). Ce que la citation d’aujourd’hui traduit est la problématique éthique que nous rencontrons encore de nos jours dans l’industrie pharmaceutique (étendue à d’autres secteurs mais particulièrement délicate ici) et du statut que peut ou doit prendre la copie. En effet, on sent bien avec l’exemple des sabots que les droits sur la propriété intellectuelle ne peuvent pas être infinis et c’est bien ce à quoi l’industrie pharmaceutique est confrontée: une fois qu’une molécule, “miracle” ou pas, est découverte, jusqu’où peut s’étendre le monopole octroyé à l’inventeur? Est-il sain que des hommes ne puissent pas bénéficier d’un traitement connu pour la simple raison qu’il est interdit de le copier alors que le prix de l’original est prohibitif? Je n’ai pas de réponse satisfaisante à ces questions mais, au vu des distorsions de concurrence actuelles dans l’industrie pharmaceutique (traduites par les coûts réglementaires de développement et les profits absolument mirifiques qu’il peut y avoir sur certaines molécules), je pense que le sujet mérite d’être étudié encore de nos jours.